Quel est ce personnage ponctuant l’espace de sa respiration figée en trois postures ?
Un Homme, un démiurge ?
Un self made man qui de sa propre volonté se serait matérialisé.
D’où l’Homme tient-il son statut, sa position si particulière dans le monde du vivant ?
De cette volonté de se dresser, de la conquête de la verticalité.
Pourquoi ce choix déterminant de la verticalité,   une aspiration au lyrisme à la spiritualité ?
La verticalité, comme un besoin de s’arracher, de s’envoler.
Il me semble que cette aspiration a toujours trouvé un terrain d’expression privilégié dans la sphère artistique, ainsi Kandinsky dans : « Point et ligne sur plan » cite le peintre Shitao :
 « L’essentiel de la peinture réside dans la pensée et il faut d’abord que la pensée étreigne l’un pour que le cœur puisse créer et se trouver dans l’allégresse ».
J’ai voulu accentuer cette verticalité en surélevant le personnage sur des tiges, des échasses, comme pour l’aider à s’envoler.
Le personnage ouvre les bras pour inspirer mais peut être aussi pour s’envoler, dans une tentative de décollage d’essai.
Il ouvre les bras et semble vouloir tout engloutir, aspirer l’univers, l’avaler, être l’univers lui-même dans un appétit insatiable d’assimilation.
Quant il expire, rejetant sa propre matière, il propulse l’univers, les planètes, les galaxies ; et ainsi l’univers est en expansion, jusqu’à sa prochaine inspiration, jusqu’au  prochain trou noir ou toute la matière se concentrera.

Deux mouvements et un antagonisme, une volonté de tout absorber, d’être le tout ; et une volonté contraire de rejet.
Un antagonisme entre amour et haine, attraction/répulsion, c'est-à-dire la vie, le mouvement, la respiration et entre les deux un point zéro où le personnage semble en équilibre.
Ou bien est-ce le moment d’avant la respiration, le moment où le personnage n’avait d’existence que dans sa volonté d’être et d’advenir.

Je dispose toujours ces sculptures  en demi-cercle pour suggérer l’aspect cyclique de la vie, en écho au cycle respiratoire.
Par le mouvement minimal régulier et répétitif qu’est la respiration, je suggère l’absurdité même de la vie.
A quoi bon s’agiter ? Je reprends ici un thème cher à Samuel Beckett, je pense en particulier à   ces personnages encapuchonnés  qui se croisent  obsessionnellement dans un ordre et un rythme aussi inéluctable qu’insensé dans une ronde carrée où jamais ils ne se rencontrent ;    comme dans « en attendant Godot », l’Homme attend-t-il toujours quelque chose ou quelqu’un pour le révéler à lui-même, pour justifier son existence ?
Comme ce personnages trop lourd trop prés de la matière tendant les bras vers quelle possibilité de s’arracher. Tout le  dilemme humain est ici posé, l’Homme est fait de matière et d’esprit.
 
Ce personnage s’il reste brut, inachevé dans la facture de son corps aux volumes incertains, comme un gros caillou, une matière encore originelle ; n’est pas neutre dans son visage.
Il semble nous indiquer que si l’esprit tend à vouloir s’envoler  le corps, lui, est voué à l’attraction terrestre.
Ce corps et ce visage font état d’un usage, d’un vécu si ce n’est d’une usure d’une érosion
Dans lesquels chacun peut se reconnaitre, se projeter.
Ce corps est donc accueillant, même si on ne s’y glisse pas volontiers.

Cet aspect m’a particulièrement intéressée, comment le corps humain représenté en sculpture nous interpelle-t-il de façon si intime ?
Pourquoi une telle  fascination ?

Comme si  la représentation à peine ébauchée d’un corps humain ne pouvait être neutre.
Comme si elle ne pouvait être que scénographique.
Comme le premier Homme qui s’est dressé devant ses paires et leur a renvoyé leur image, comme le premier protagoniste, le premier acteur ; on attend qu’il nous renseigne sur nous même, on se cherche dans lui et on se trouve dans lui.
Surtout si ce corps n’est pas fini, si l’on peut l’imaginer encore.
Forme ébauche, être en devenir ou chacun peut se glisser.

Ce personnage tend les bras lance un cri qui résonne silencieusement
Un cri de stupeur, le cri du nouveau né.
Comme si après tant de tension à vouloir exister,  un cri libérateur était venu du plus profond de lui-même. 
Si on le touche, il se balance sur ses tiges, béquilles improbables
Il oscille lentement jusqu’à retrouver son équilibre.
Un immobilisme qu’un rien met en mouvement,
Une fragilité, un bercement, une consolation.

C’est un résumé entre l’enfant et le vieillard,  enfant qui à peine né se retrouve vieux,
Le temps d’un cri.
Qu’est ce que le temps ? Une illusion…… d’optique. 
La vie se résume-t-elle à rythmer le temps de ses respirations, à cette hésitation entre prendre et rejeter, à cette hésitation entre faire partie et être en dehors, à cette ambivalence,
ce balancement, ce bercement…
A se laisser bercer on finit par s’endormir et on oublie que l’on respire.
De quoi l’Homme a t-il besoin d’être consolé ? de cette condition ridicule, de cet état de doute qui le rend aussi incroyablement créatif.
Ces personnages sont hiératiques certes mais ils ont besoin de béquilles.
Dans ce travail la dérision tient le premier rôle.     

Le choix de la terre comme matériau n’est pas un hasard.
Une matière originelle pour une exploration originelle, ce retour au plus élémentaire de l’humain, la respiration. Le minimum vital.
Et pourtant, la respiration : inspirer, expirer ; suffit à poser l’équation de notre condition fragile,  ce reflexe minimal contient et annonce déjà toute l’ambivalence humaine.
Déjà entre les deux il y a la suspension, l’équilibre précaire.

Et puis la terre dont Dieu lui-même s’est servi pour modeler Adam,  
 Roche molle qui devient caillou, s’érode avec le temps, redevient sable,  recyclant en permanence la vie,
 Matière si vivante que l’on s’étonnerait à peine qu’un être vivant en sorte tel
un self made man.
Car dans l’histoire de Dieu créant Adam ce qui est le plus extraordinaire c’est Dieu, Adam sortant de la terre ça ne parait pas si excessif.
 
 J’ai donc choisi de la terre pour faire un self made man, pour faire un personnage brut dont le ventre ressemble à un gros caillou.